Le discours bouleversant du prix Nobel de la paix Denis Mukwege
Cet article est paru dans le Huffington Post, le 16 décembre 2018.
Le 10 décembre dernier, à Oslo, le gynécologue-obstétricien Denis Mukwege a prononcé un discours poignant lors de la cérémonie de réception de son prix Nobel de la paix. Ses mots resteront parmi les plus forts de l’année 2018, entre prise de conscience et appels à l’action.
Cela fait des années que Denis Mulwege se bat sur le terrain. Ce terrain est situé à l’est de la République démocratique du Congo. Là-bas, il a créé un hôpital pour soigner et aider les femmes et jeunes filles victimes d’agressions sexuelles et de viols. Son combat pour la paix et son engagement sans relâche ont été salués par le comité du Prix Nobel. Dans un discours d’un peu moins de 30 minutes, l’orateur a démontré la nécessité d’agir, à notre échelle et qu’importe d’où nous venons, pour faire cesser cette situation.
Une introduction dans le vif du sujet
La puissance du discours se déploie dès les premiers mots prononcés par Denis Mukwege. Sans dire bonjour, mais avec sa conviction inscrite sur son visage, il entre dans le vif du sujet en nous plongeant au cœur de son travail. Pour cela, telle une histoire tragique qui prend vie sous nos yeux, il décrit : « Dans la nuit tragique du 6 octobre 1996, des rebelles ont attaqué notre hôpital à Lemera, en République démocratique du Congo. Plus de 30 personnes tuées, les patients abattus dans leur lit, à bout portant, le personnel ne pouvant pas fuir, tué de sang-froid. » Avec cette entrée en matière, nous sommes en empathie avec lui, et nous apprêtons à vivre son combat à ses côtés.
Suite à cette attaque, Denis Mukwege ouvre en 1999, l’hôpital de Panzi à Bukavu où il travaille depuis comme gynécologue-obstétricien. Il raconte alors les histoires tragiques de ses premières patientes : « La première patiente admise était une victime de viol, ayant reçu un coup de feu dans ses organes génitaux. La violence macabre ne connaissait aucune limite. » La deuxième était une petite fille de 18 mois, violée par un homme. Encore une fois, ces récits concrets nous font prendre conscience de l’ampleur de la tragédie.
Un discours engagé et engageant
Puis, ces expériences personnelles le mènent à évoquer la principale cause de ces atrocités : l’absence d’un état de droit en République démocratique du Congo et l’impunité qui des actions commises par les dirigeants en place. C’est ici que son discours devient engagé et politique. Mais, pour faire passer efficacement son message, Denis Mukwege utilise toujours des analogies concrètes. Par exemple, lorsqu’il mentionne que cette violence a entraîné plus de 6 millions de victimes, il affirme : « Imaginez, l’équivalent de toute la population du Danemark décimée ». Il insiste alors sur la nécessité de se battre pour de telles causes. Et c’est à ce moment-là qu’il affirme officiellement accepter le prix Nobel de la paix, sous les acclamations de l’audience.
Suite aux applaudissements, il reprend avec force : « Je m’appelle Denis Mukwege, je viens du pays le plus riche du monde. Pourtant, le peuple de mon pays est parmi le plus pauvre du monde ». Le contraste souligne parfaitement la racine du problème. Encore une fois, pour transmettre ses convictions, il touche l’audience très concrètement : « Nous aimons tous les belles voitures, les bijoux et les gadgets… J’ai moi-même un smartphone. Ces objets contiennent des minéraux que l’on trouve chez nous, souvent extraits dans des conditions inhumaines par de jeunes enfants qui sont victimes d’intimidation et de violences sexuelles […] Réfléchissez un instant au coût humain de la fabrication de ces objets. En tant que consommateur, le moins que l’on puisse faire, est d’insister que ces produits soient fabriqués dans le respect de la dignitié humaine. Fermez les yeux devant le drame, c’est être complice ! ». Denis Mukwege est convaincant car il adapte son discours au quotidien de nos vies, à ce que nous vivons et connaissons le mieux.
Un combat qui doit être mené par tous
Petit à petit, l’orateur parvient ainsi à passer d’un problème que nous pourrions croire, à tort, circonscrit à la République du Congo, à un enjeu mondial, qui nous touche tous, individuellement. Il passe de son expérience personnelle à des convictions universelles. Il appelle alors à l’engagement de tous pour continuer le combat. Ce dernier se ressent tout au long de son discours grâce à sa voix assurée, pleine de conviction, de rage comme d’espoir. Le rythme de son intervention mime aussi des phases d’action mais également des moments de réflexions grâce à la réalisation de nombreux et courts silences.
Cet appel à l’action devient solennel et plus grave encore avec l’utilisation d’une magnifique anaphore de cinq répétions du groupe de mots « Ayons le courage… ». Sa conclusion est donc dédiée aux solutions concrètes et aux actions à mener pour mettre fin à ces atrocités. Il en énumère plusieurs explicitement : soutenir et protéger les femmes au quotidien, développer une masculinité positive qui soit respectueuse de la dignité de tous, refuser l’indifférence ou encore, à destination des Etats, l’arrêt immédiat des visites officielles des présidents de pays qui ne font rien pour lutter contre ces crimes.
Ces actions nous font réfléchir car elles sont présentées de façon concrète. Elles sont énoncées clairement et permettent à chacun, individuellement comme collectivement, d’agir pour changer les choses. Un discours pour la paix et un futur meilleur qui restera dans les annales.