Donald Trump : langage simpliste, pensée sans nuance
Beaucoup d'analyses linguistiques ont révélé l'ultra simplicité du langage de Donald Trump, candidat à sa réélection le 3 novembre prochain. Dans une tribune aux « Echos », le spécialiste du discours Adrien Rivierre estime que la pauvreté de la parole du président américain n'est pas sans lien avec sa vision hyper simpliste du monde.
La parole de Donald Trump à l’origine de tous les maux ?
Lors de ses quatre premières années à la Maison-Blanche, pas une semaine ne s’est passée sans que les prises de parole de Donald Trump n’aient fait la Une des journaux et, très souvent, le tour du monde. Qu’elles soient écrites ou orales, et qu’importe le sujet évoqué, le Président américain s’est distingué par un langage qui continue encore aujourd’hui de surprendre et d'interpeller. Il faut dire qu’aucun autre Président américain avant lui ne s’exprimait avec une telle franchise sur Twitter - et si régulièrement ! - ou lors de discours politiques officiels. Pourtant, les nombreuses analyses linguistiques réalisées, qui ont certes permis de dessiner son profil psychologique et de mieux cerner sa personnalité, n’ont pas permis d’expliquer la politique menée par Donald Trump. Dommage car l’étude des mots employés éclaire grandement ses prises de position successives et les événements qui ont émaillé son premier mandat. Comment la parole du Président peut-elle aider à comprendre sa vision du monde et les actions entreprises ?
Quand notre langage façonne notre monde
Pour y répondre, il faut se pencher sur une théorie linguistique mise en avant dans les années 1960 par Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf. Ces deux chercheurs américains font l’hypothèse qu’il existe un lien entre le langage que nous utilisons au quotidien et notre représentation du monde. Dit autrement, le langage fonctionnerait comme un ensemble de contraintes, plus ou moins limitantes, qui structurent l’ensemble de nos processus cognitifs de compréhension et d’action dans le monde. Leurs expériences démontrent ainsi que plus le vocabulaire maîtrisé par un individu est riche et diversifié, plus son appréhension du réel est fine et précise. Au contraire, l’emploi de mots approximatifs et peu variés empêchent de saisir tous les tenants et aboutissants d’une situation, la vision ne peut qu’être grossière. Par exemple, en islandais, le mot Sauðljóst décrit un moment brumeux qui a lieu juste avant l'aube et que nous pourrions essayer de traduire fidèlement par : « Le moment de la journée où il y a juste assez de lumière pour voir les moutons ». Mais, ce terme n’existant pas en français, la réalité désignée peine à exister. Il faudrait pour y parvenir créer un nouveau mot comme « brumuscule » (une association des mots brumeux et crépuscule).
Or, le langage de Donald Trump n’a cessé de subir des attaques quant à sa très grande simplicité. Une étude a en effet montré que non seulement le nombre de mots qu’il maîtrise est inférieur à celui de ses prédécesseurs mais également qu’ils comptent en moyenne moins de syllabes. Qui plus est, ses phrases se caractérisent majoritairement par une structure rudimentaire avec l’enchaînement : sujet, verbe, complément. Les spécialistes en linguistique notent dès lors que ce langage correspond au niveau attendu d’un lycéen, voire même dans certains cas à celui d’un collégien. Bien sûr, cette simplicité permet de se faire comprendre du plus grand nombre - et a prouvé son efficacité - mais elle limite considérablement la prise en compte de situations complexes, incertaines et impliquant de nombreuses parties prenantes. C’est très exactement ce que le philosophe et mathématicien Ludwig Wittgenstein affirmait dans son Tractatus logico-philosophicus : “Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde.” L’auteur montre qu’il existe un isomorphisme entre la structure du monde et la structure du langage employé. Dans le cas de Donald Trump, son langage ultra-simplifié mène à une vision simpliste du monde.
Les paroles précèdent les actes
L’affirmation de Wittgenstein souligne que la vision et les agissements, parfois erratiques, de Donald Trump sont tout à la fois une conséquence et la cause de sa production langagière. S’il ne peut formuler une pensée complexe en mots, alors il est impossible qu’il puisse agir avec mesure et nuance. L’interdépendance entre le monde du langage et les actes est ainsi très forte. De façon triviale, nous savons bien que les “beaux parleurs”, c’est-à-dire ceux qui maîtrisent l’art de la parole, sont capables de raconter des histoires, de négocier à merveille ou de se sortir de n’importe quel débat contradictoire par une pirouette rhétorique. Aucune fatalité néanmoins car, pour chacun d’entre nous, l’enjeu est d’enrichir continuellement sa parole pour acquérir une vision toujours plus fine de la réalité et agir en toute connaissance de cause.
Or, dans le cas de Donald Trump, des neuro-linguistes ont montré que son langage s’est fortement appauvri au fil des années. Lors d’interviews télévisées réalisées dans les 1980 et 1990, l’orateur manie en effet un vocabulaire riche, construit des phrases complexes sans perdre le fil et organise sa pensée à l’aide de paragraphes cohérents. Symbole de cet affaiblissement, le Président américain s’exprime aujourd’hui quasiment exclusivement de façon binaire avec d’un côté, les forces du bien, et de l’autre, les forces du mal. Toujours en suivant le fil des travaux de Sapir, Whorf et Wittgenstein, cet antagonisme langagier finit par mimer sa conception du monde… qui devient peu à peu un lieu de confrontations violentes.
La parole de Donald Trump est également une affaire d’exagération, notamment avec l’emploi de superlatifs comme “très”. Il suffit de prendre une prise de parole récente, par exemple celle du 19 octobre lors de l’arrivée du Président à Prescott en Arizona pour s’en rendre compte : “And we have a very exciting election coming up. We’re doing very well in North Carolina, very well in Florida, very well pretty much everywhere.” ("Et nous avons une élection très excitante à venir. Nous nous en sortons très bien en Caroline du Nord, très bien en Floride, très bien à peu près partout".) Les répétitions sont enfin une caractéristique clé de la rhétorique trumpienne qui en martelant les mêmes mots a participé à l’hystérisation de la politique américaine et a pu renforcer les craintes ressenties par la communauté internationale sur des sujets aussi sensibles que les relations diplomatiques avec la Chine ou la Russie.
S’intéresser au langage, notamment lors de campagnes électorales, est ainsi un excellent moyen de connaître la façon dont le monde sera façonné dans les années à venir. Les mots sont une fenêtre ouverte sur notre vision du monde et annoncent par conséquent nos actions et décisions en son sein. Il y a quatre ans, en suivant à la trace les mots employés par Donald Trump, nous aurions pu prédire sa façon de faire de la politique et l'apparition de certains maux. Et comme sa parole n’a pas changé… restons à l’écoute !