Devenir orateur avec… Barack Obama
Cet article est paru sur LinkedIn, le 20 mars 2019.
Pour trouver son style oratoire, celui avec lequel vous êtes le plus à l’aise, et prendre du plaisir dans vos prises de parole, je crois beaucoup à l’observation des plus grands orateurs et oratrices. A travers leurs discours, ils nous transmettent de nombreuses leçons et aident ainsi à progresser rapidement.
Quand je demande quels sont les plus grands orateurs et oratrices de l’histoire, Barack Obama arrive toujours en tête. C’est en 2004, alors inconnu du grand public, qu’il se révèle lors d’un discours prononcé lors de la Convention du Parti Démocrate. Immédiatement, son charisme crève l’écran, sa voix grave prend aux tripes et son message d’espoir fédère des millions d’américains. Suite à cette intervention, le destin d’Obama bascule. Quasiment du jour au lendemain, il devient un candidat sérieux pour se présenter à l’élection présidentielle… qu’il remportera en 2008 !
Les discours mémorables et les qualités exceptionnelles d’orateur d’Obama sont légions. Ainsi, même s’il fut difficile de choisir, et bien qu’il soit impossible d’être exhaustif, j’ai sélectionné les quelques leçons qui me semblent le mieux mettre en valeur le talent du 44ème Président des Etats-Unis.
Le pouvoir des histoires
Barack Obama est tout d’abord un incroyable conteur d’histoire. Toutes ses prises de parole font appel à des récits personnels, qui permettent de mieux saisir la complexité d’une situation, les conséquences d’une décision ou simplement une idée abstraite. Grâce aux détails concrets et aux nombreux adjectifs utilisés, il crée des images qui marquent les esprits durablement.
Ses histoires mêlent toujours expériences vécues et convictions, éléments au service d’une idée forte, souvent présentée à la fin. Ainsi, elles sont comparables aux fables de La Fontaine. Ce dernier mettait en scène des animaux anthropomorphes vivant des péripéties avant de partager une morale, c’est-à-dire le message à retenir. Par exemple, quand il scande à la fin de ses discours le slogan Yes we can, c’est pour montrer qu’aux Etats-Unis on peut être un noir immigré, ancien travailleur social dans la banlieue de Chicago et devenir Président du pays mais surtout pour affirmer avec force que cette réussite doit être possible pour tous.
D’ailleurs, en 2012, lors de son discours de victoire suite à sa réélection, il employa à 33 reprises le pronom personnel « je », à 56 reprises le « vous » et à 110 reprises le « nous ». Barack Obama raconte toujours des histoires inclusives, à même d’embarquer ses interlocuteurs qui se sentent concernés. Dans ce même discours, il rappelle la promesse de liberté faite à chaque américain et pour faire entendre cette idée, il ne reste pas au niveau conceptuel et abstrait de l’idée mais mobilise quelques courtes histoires :
« We believe in a generous America, in a compassionate America, in a tolerant America open to the dreams of an immigrant's daughter who studies in our schools and pledges to our flag – (cheers, applause) – to the young boy on the south side of Chicago who sees a life beyond the nearest street corner – (cheers, applause) – to the furniture worker's child in North Carolina who wants to become a doctor or a scientist, an engineer or an entrepreneur, a diplomat or even a president. »
Leçon n°1 de Barack Obama : une bonne histoire, concrète et incarnée, est le meilleur moyen d’illustrer vos idées et convictions. Pour fédérer et mobiliser vos audiences, les récits doivent être inclusifs et inspirants.
Parler avec le cœur et aux cœurs de vos interlocuteurs
Barack Obama ne laisse jamais de marbre. C’est un orateur qui transmet toujours beaucoup d’émotions là où beaucoup d’autres ne souhaitent rien laisser transparaître de ce qu’ils ressentent. Ainsi, il n’hésite pas à montrer ses faiblesses et à en parler ouvertement. Par exemple, au cours de plusieurs discours relatifs à la régulation des armes à feu qui tuent aux Etats-Unis chaque année des dizaines de personnes, il s’est mit à pleurer comme lors d’une intervention réalisée suite à la tuerie survenue dans l’école primaire de Sandy Hook le 14 décembre 2012. Obama évoque ici qu’à chaque fois qu’il apprend une telle tragédie, il ne peut s’empêcher d’éprouver de la colère et de ressentir une grande tristesse.
A l’inverse, il sait aussi rire franchement, notamment lors de prises de parole plus légères comme celles visant à gracier une dinde pour la fête de Thanksgiving (discours rituel prononcé chaque année). Pour Obama, chaque intervention est ainsi une intervention engagée émotionnellement. L’image qu’il renvoie, ce que les Grecs appelaient l’ethos, est alors celle d’un orateur humain, humble et accessible.
Leçon n°2 de Barack Obama : prenez la parole et partager des messages auxquels vous croyez profondément, qu’ils soient tristes ou joyeux. Pour toucher votre audience, vous devez vous-même être touchés par ce que vous dîtes, vous engagez sur le plan émotionnel. Les émotions sont le lien le plus fort à tisser avec une audience.
Une voix qui porte
Barack Obama dispose d’une voix reconnaissable entre tous, une de ses très grandes qualités. Mais, ce timbre naturel, c’est surtout son utilisation qui est remarquable. Les constantes modulations de sa voix donnent du rythme et une grande vitalité à ses propos. Ces derniers sont alors mis en valeur comme le ferait un peintre en jouant sur la lumière.
Ainsi, pour souligner l’importance d’une idée, il ralentit le débit, baisse le volume de sa voix qui devient presque aspirée et réalise de nombreuses pauses à l’aide de silences. Cela crée des moments de solennité et d’émotions comme lors de son discours réalisé le 7 mars 2015 pour célébrer les 50 ans des trois Marches de Selma organisées à Montgomery (7, 9 et 25 mars 1965) pour les droits civiques des afro-américains auxquelles participèrent notamment Martin Luther King.
Au contraire, quand il souhaite galvaniser son audience, par exemple lors de la fin de la très grande majorité de ses discours de campagne présidentielle, son débit s’accélère considérablement et sa voix se fait plus intense. Telles des images qui défileraient à toute vitesse, les mots incarnent à eux-seuls la mise en mouvement du peuple américain qu’il souhaite voir advenir.
Leçon n°3 de Barack Obama : La voix est un instrument formidable, aux nuances infinies, pour accompagner votre propos et partager des émotions plus vivement. Ralentissez le débit et baissez le volume pour souligner des éléments importants. Accélérez et parlez plus fort pour donner de la vigueur à vos propos.
Toujours s’adapter à son audience
C’est l’une des règles d’or pour réussir une prise de parole et marquer les esprits. La qualité d’un discours se mesure toujours à l’aune de l’audience visée. Or, Barack Obama sait parfaitement s’adapter à ses interlocuteurs, non pour les manipuler, mais au contraire pour faire écho à leurs attentes et points de vue. Pour connaître ces derniers, Jon Favreau, qui fut l’une de ses plumes (c’est-à-dire l’un de ses conseilles en charge de la rédaction de tout ou partie de ses discours), raconte qu’ensemble il faisait l’effort de se mettre à leur place pour voir le monde avec leurs lunettes.
Ainsi, lors d’un discours pour la cérémonie de remise des diplômes à l’Université d’Irvine en 2014, il débute par des références à la culture de l’institution (surnom des étudiants, blague sur l’équipe de baseball…), poursuit par mentionner les nombreuses lettres rédigées par des élèves pour rendre possible sa venue avant de rentrer dans le vif du sujet… c’est-à-dire pour parler du rôle crucial que devra jouer cette génération dans le monde à venir. Bref, toute sa prise de parole est entièrement conçue pour l’audience.
Leçon n°4 de Barack Obama : Avant même de vous lancer dans la préparation d’une prise de parole en public, demandez-vous toujours qui est votre audience : le nombre de personnes, leur profil et leurs attentes. Cela vous permettra de leur parler plus directement et avec plus de pertinence.
L’utilisation de techniques simples
Barack Obama est un orateur de grand talent parce qu’il applique et sait utiliser des techniques oratoires simples. Par exemple, il utilise régulièrement les répétitions pour renforcer la puissance d’un message comme lors de son dernier discours officiel prononcé à Chicago :
« If I had told you eight years ago that America would reverse a great recession, reboot our auto industry, and unleash the longest stretch of job creation in our history…
If I had told you that we would open up a new chapter with the Cuban people, shut down Iran's nuclear weapons program without firing a shot, take out the mastermind of 9-11
If I had told you that we would win marriage equality and secure the right to health insurance for another 20 million of our fellow citizens.
If I had told you all that, you might have said our sights were set a little too high. »
Autre technique, l’utilisation d’analogies qu’elles soient des métaphores ou des comparaisons. Ces dernières fonctionnent comme de véritables outils pédagogiques pour rendre une idée plus concrète ou plus claire. Elles se comptent par centaines mais j’en ai choisi une très simple prononcée dans son allocution suite à sa réélection en 2012 :
« As it has for more than two centuries, progress will come in fits and starts. It’s not always a straight line. It’s not always a smooth path. »
Dernière illustration de sa capacité à mettre en valeur ses propos par des moyens rhétoriques simples, l’utilisation de la règle de trois (je l’ai déjà évoquée avec l’analyse de Steve Jobs comme orateur et j’y consacre un chapitre dans mon livre Prendre la parole pour marquer les esprits). Cette technique se retrouve tant dans la structuration de ses discours, que dans ses paragraphes ou encore dans ses phrases au rythme ternaire comme : « The courage to keep reaching, to keep working, to keep fighting » (discours de la victoire en 2012).
Leçon n°5 de Barack Obama : des techniques simples permettent de renforcer un propos et de le mettre en valeur. Pensez à les utiliser en préparant vos notes et au fur et à mesure, vous les mobiliserez naturellement lors de vos différentes prises de parole.