Discours à la loupe : Quand Emma Gonzalez brillait par son éloquence du silence
Emma Gonzalez est une rescapée. Le 14 février 2018, elle échappe à une tuerie survenue au lycée Marjory Stoneman Douglas à Parkland, en Floride. Suite à cette tragédie, lors d'un grand rassemblement contre les armes à feu, elle réalise un discours en hommage aux 17 victimes. Ses mots pleins d'émotion et son saisissant silence ont fait d'elle un symbole de ce mouvement à travers les Etats-Unis.
Pourquoi cette prise de parole est-elle historique ?
L'Histoire retient plus volontiers les prises de parole d'hommes et de femmes déjà connus. Pourtant, certaines interventions échappent à cette règle. Elles font souvent suite à des événements marquants, comme cette fusillade perpétrée par Nikolas Cruz le 14 février 2018 à Parkland. Bien que les Etats-Unis soient hélas régulièrement touchés par ces drames, la violence de l'attaque et la jeunesse de l'assaillant, un ancien élève de l'établissement, émeut tout le pays.
Des rescapés prennent alors la parole et appellent à l'interdiction du port d'armes. Parmi eux, Emma Gonzalez s'impose rapidement comme le visage et la voix des contestations. La jeune oratrice s'exprime une première fois le 17 février, puis le 24 mars à l'occasion d'un rassemblement organisé à Washington dans le cadre de la « Marche pour nos vies ».
Les points forts du discours
L'attaque meurtrière n'a duré que 6 minutes et 20 secondes. C'est le temps durant lequel Emma Gonzalez choisit de s'exprimer face à des dizaines de milliers de personnes. C'est une sonnerie programmée sur son téléphone portable qui, en retentissant, indique la fin de son intervention. Ce choix symbolique déploie une puissance inouïe car il permet de saisir l'extrême rapidité des événements, et plus particulièrement celle avec laquelle 17 vies humaines ont été enlevées. La correspondance entre la forme du discours et la réalité à laquelle elle se réfère est une manière de faire vivre à l'audience, par procuration, les événements.
En hommage aux victimes, la jeune étudiante émue aux larmes scande, un à un, les dix-sept noms de ses camarades tués. Tel un éloge funèbre après une bataille, l'accumulation s'accélère petit à petit puis s'arrête net par un silence… de 4 minutes et 30 secondes ! Lorsque j'ai regardé ce discours pour la première fois, l'image d'Emma Gonzalez se tenant droite sans bouger, les yeux fixés sur l'horizon, les larmes ne cessant de couler le long de ses joues, m'est restée longtemps en mémoire. Non seulement ce long silence recentre l'attention de toute l'audience sur le visage de l'oratrice mais il confère surtout une solennité quasi religieuse au moment. Ici, les mots s'effacent et disparaissent. Leur absence est plus efficace pour dire l'essentiel : rien ne pourra jamais exprimer la douleur ressentie. Il suffit de regarder le visage de l'oratrice pour s'approcher au plus de cette dernière. Au fil des minutes, le silence devient d'ailleurs de plus en plus fort émotionnellement et prouve qu'il est un ingrédient indispensable à disposition de l'orateur pour marquer durablement les esprits.
Le silence compose plus des deux-tiers du discours. De façon percutante, comme un dernier coup de poing émotionnel donné, Emma Gonzalez conclut par une phrase qui sonne comme un cri de rage : « Battez-vous pour vos vies avant que quelqu'un d'autre fasse le travail. » L'intelligence et la maîtrise de l'oratrice, qui en disant peu, signifient beaucoup. Le nombre de mots n'est jamais un critère de la qualité ou de la puissance d'une prise de parole, leur sens compte plus que tout… et le silence fait des merveilles pour cela.
Ce que nous pouvons en retenir
Cicéron, un des plus grands orateurs de tous les temps, écrivait qu'une prise de parole mémorable est toujours la rencontre d'un orateur de talent et d'un moment historique. I s'agit pour celui qui s'exprime d'analyser avec justesse puis de tirer profit du contexte, ce que réalise parfaitement Emma Gonzalez. C'est pourquoi ce discours me rappelle « I Have a Dream », la prise de parole mythique qui fit entrer Martin Luther King dans la légende.
Que dit ce discours de notre époque ?
Suite à ce discours et aux mouvements contestataires des étudiants à travers les Etats-Unis, des entreprises comme Delta Airlines ou l'assureur MetLife ont annulé les avantages octroyés aux membres de la NRA (National Rifle Association), l'organisation qui promeut les armes à feu. Cela est la preuve que des prises de parole citoyennes peuvent faire changer des pratiques qui semblaient auparavant immuables.