Discours à la loupe : Le jour où Barack Obama a crevé l'écran

 

Quand Barack Obama s'avance sur la scène de la Convention nationale du Parti démocrate le 27 juillet 2004, il est inconnu du grand public. A la tribune, plusieurs orateurs se succèdent pour soutenir la candidature à l'élection présidentielle de John Kerry. Obama a choisi de nommer son intervention The Audacity of Hope (en français, l'audace d'espérer), un thème qui le mènera à la tête des Etats-Unis quelques années plus tard et gravera les mémoires grâce à son célèbre slogan, Yes We Can.

 
 

Pourquoi cette prise de parole est-elle historique ?

Dans ce discours, Barack Obama étale sa vision et détaille ses convictions personnelles qui constitueront le socle de sa campagne présidentielle victorieuse en 2008. A une époque où les Etats-Unis sont en guerre en Afghanistan et en Irak, où les divisions se font plus profondes, l'orateur dévoile ses origines familiales pour mieux démontrer la vivacité du rêve américain. En centrant son intervention sur l'espoir, l'unité ou le pacifisme, il prend ainsi le contre-pied d'une atmosphère ambiante et morose.

En moins de vingt minutes, non seulement ses talents oratoires crèvent l'écran mais surtout il devient un homme politique de premier plan. Aux Etats-Unis, la résonance de ces propos sera telle que Barack Obama publiera en 2006 un livre en forme de programme politique, The Audacity of Hope, dans lequel il reprendra les éléments partagés lors de cette prise de parole.

 

Les points forts du discours

Rappelons que Barack Obama est avant tout un formidable conteur d'histoires. En quelques secondes, il est capable d'éveiller la curiosité et de capter l'attention grâce au récit d'expériences personnelles ou d'anecdotes vécues. Pour donner vie à son propos, comme le ferait le narrateur d'un roman, il mentionne de nombreux détails qui permettent à l'audience de visualiser concrètement les personnages et actions mis en scène. Par exemple, pour développer sa vision de l'engagement militaire des Etats-Unis, il choisit de raconter l'histoire suivante : « Il y a quelque temps, j'ai rencontré un jeune homme nommé Shamus au VFW Hall à East Moline, dans l'Illinois. C'était un beau gosse, d'environ 1m80, les yeux clairs, avec un sourire facile. Il m'a dit qu'il avait rejoint les Marines et qu'il partait pour l'Irak la semaine suivante ». La description physique, même succincte, de son interlocuteur nous aide à entrer en empathie avec lui et ainsi à accroître considérablement le pouvoir de conviction de l'histoire. Ce dernier tient également beaucoup à ce que les orateurs de la Grèce antique appelaient le pathos, c'est-à-dire la capacité à faire appel aux émotions pour parler au coeur plus qu'à la raison de l'audience.

Mais le véritable talent de Barack Obama réside dans sa capacité à utiliser des petites histoires pour mettre en valeur des vérités, convictions ou leçons de vie universelles. Ainsi, il démontre que l'ADN des Etats-Unis réside dans les concepts de liberté et de respect des différences individuelles en affirmant par exemple : « Eh bien, je leur dis ce soir [à ceux qui cherchent à diviser la nation], il n'y a pas une Amérique libérale et une Amérique conservatrice - il y a les Etats-Unis d'Amérique. Il n'y a pas une Amérique noire et une Amérique blanche, une Amérique latine et une Amérique asiatique ; il y a les Etats-Unis d'Amérique ».

Barack Obama dispose d'un extraordinaire sens de la formule. En quelques mots, courts et simples, il parvient à toucher du doigt une vérité vibrante tout en donnant du rythme à son propos. Cette recette sera celle de son célèbre slogan, Yes We Can. Dans ce discours, les exemples sont très nombreux comme « They know we can do better. And they want that choice. » (« Ils savent que nous pouvons faire mieux. Et ils veulent avoir ce choix. ») ou encore avec cette devise latine qui apparaît sur le Grand sceau des Etats-Unis : « E pluribus unum » (en français, « de plusieurs un seul »).

Enfin, sa capacité à accumuler idées et exemples, alors même que la foule applaudit et crie son approbation, renforce la puissance de ses mots. Il sait parfaitement jouer avec sa voix, sa gestuelle et son regard. A plusieurs reprises, pour galvaniser l'audience, il accélère son débit et augmente le volume de sa voix. Telles des images qui défileraient à toute vitesse sous nos yeux, les mots incarnent à eux seuls la mise en mouvement du peuple américain qu'il souhaite voir advenir. Ici, nous sentons très clairement l'influence des sermons entendus à l'Eglise et qui l'inscrivent dans la tradition des prises de parole de Martin Luther King.

 

Ce que nous pouvons en retenir

Comme le disait Victor Hugo, « la forme, c'est le fond qui remonte à la surface ». Avec ce discours, Barack Obama partage des valeurs, des convictions et des idées fortes sans être rébarbatif. Il sait tout simplement qu'il est nécessaire de plaire et d'instruire, mieux encore de plaire POUR instruire. Ce sont là les deux faces d'une même pièce, celle de la prise de parole en public.

Cette maxime était d'ailleurs celle des auteurs du XVIIe siècle appartenant au courant artistique du classicisme. Jean de La Fontaine, Racine, Boileau ou encore Charles Perrault savaient que pour transmettre efficacement leurs pensées et espérer faire grandir l'audience, la forme devait être attrayante. Une prise de parole ennuyante, aussi instructive soit-elle, ne peut espérer capter l'attention.

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Adrien Rivierre