Discours à la loupe : Quand le Lieutenant général Jay Silveria s'indignait contre le racisme dans ses rangs

 

En septembre 2017, des insultes à caractère racial sont retrouvées sur les portes de chambre de cinq élèves noirs de l'école préparatoire de l'US Air Force dans le Colorado. Le Lieutenant général Jay Silveria rassemble alors les 4.000 élèves officiers et 1.500 membres du personnel pour leur partager le fond de sa pensée. Avec des mots d'une force incroyable, qui personnellement me donnent à chaque fois la chair de poule, l'orateur exprime ses convictions sans détours.

 
 

Pourquoi cette prise de parole est-elle historique ?

Aux Etats-Unis comme partout dans le monde, la lutte contre racisme demeure encore aujourd'hui nécessaire. En témoigne la mort de George Flyod, tué le 25 mai lors d'un contrôle de police à Minneapolis. Si les prises de parole sont nombreuses pour condamner les faits perpétrés ou les inégalités, elles émanent le plus souvent de ceux qui en sont victimes.

Il est en revanche beaucoup plus rare d'entendre un membre de l'autorité légitime, ici un Lieutenant général de l'Armée de l'air américaine, s'exprimer publiquement sur le sujet. Jay Silveria va plus loin que la simple condamnation des faits. Comme garant de l'autorité, il se montre intraitable sur valeurs cardinales à respecter au sein de l'institution qu'il représente, tout en prenant sa part de responsabilité dans ce qu'il considère être un événement inadmissible.

 

Les points forts du discours

Cette intervention, d'à peine plus de cinq minutes, se distingue par la clarté du message porté par Jay Silveria, qui va droit au but. Avec des mots simples, des phrases courtes qui donnent du rythme au propos et une élocution parfaite, l'orateur parvient à capter l'attention et souligner la gravité de la situation.

Dans cette optique, il commence son intervention en exprimant la raison pour laquelle il a souhaité prendre la parole. Dès lors, il rappelle les faits constatés puis enchaîne très rapidement par leur condamnation. Ainsi, en moins de 30 secondes, l'essentiel est déjà dit ! Face à une situation de crise, un bon orateur sait que le message le plus important doit être énoncé au début de son discours pour ne laisser planer aucun doute sur la ligne défendue et ainsi ne pas renvoyer l'image d'une personne indécise.

Autre point fort de cette intervention, Jay Silveria parvient à donner une grande résonance aux faits commis en transformant cet événement en véritable symbole des inégalités raciales aux Etats-Unis. A plusieurs reprises, il fait ainsi le lien entre cet exemple particulier - circonscrit dans le temps et l'espace - et une réalité plus générale. Il affirme par exemple : « vous devriez être indigné, non seulement en tant qu'aviateur, mais aussi en tant qu'être humain ». Et d'évoquer les manifestations des suprémacistes blancs qui avaient dégénéré à Charlottesville , un mois plus tôt, en août 2017 et causé le meurtre de trois membres de la communauté noire. Cette capacité à prendre de la hauteur permet à l'orateur d'élever son discours sur un plan moral.

A ce moment précis, l'orateur avance alors la valeur qu'il défend et défendra coûte que coûte : la diversité. Et c'est au nom de ce grand principe qu'il demande à l'audience de proposer de « meilleures idées » qui permettront de résoudre les problèmes de l'institution derrière lesquelles Jay Silveria ne cherchent d'ailleurs pas à se cacher. Cette posture qui consiste à vouloir trouver des solutions - en s'incluant dans cet effort - renvoie une image d'humilité et d'intégrité très puissante. En prenant la responsabilité des dérives constatées, il s'impose comme un leader charismatique.

La fin du discours de Jay Silveria est très soignée. Il martèle son message. Chaque mot est pesé avec en prime une anaphore (répétition d'un mot ou d'un groupe de mots en début de phrase) qui confère une solennité saisissante au propos : « Si vous ne pouvez pas traiter quelqu'un avec dignité et respect, alors foutez le camp. Si vous ne pouvez pas enseigner à une personne d'un autre sexe, que ce soit un homme ou une femme, avec dignité et respect, alors foutez le camp. Si vous rabaissez quelqu'un de quelque manière que ce soit, alors foutez le camp. Et si vous ne pouvez pas traiter quelqu'un d'une autre race ou d'une couleur de peau différente avec dignité et respect, alors foutez le camp ».

 

Ce que nous pouvons en retenir

Tout orateur, à partir d'un exemple concret ou d'une expérience personnelle, peut mettre en lumière des combats qui le dépassent, des combats moraux et universels. C'est ce que réalise ici parfaitement Jay Silveria, en prononçant des paroles fortes sur la dignité, le respect et la diversité.

Là où le Lieutenant général va un cran plus loin, c'est lorsqu'il demande aux membres de l'assistance de se saisir de leurs téléphones portables. Ces derniers deviennent alors acteurs à leur tour dans ce combat en le filmant et en le partageant ensuite au monde… Et c'est ce qu'il s'est passé. Les photos prises et les vidéos enregistrées ont été pour Jay Silveria une formidable caisse de résonance. C'est une leçon pour tout orateur qui souhaite réaliser une prise de parole mémorable : être cohérent entre l'idée défendue et l'incarnation (actes, choix scéniques, ton employé…) qui lui donne vie le jour J.

Faites-vous former avec Adrien Rivierre →

 

Que dit ce discours de notre époque ?

Aujourd'hui, le flow d'informations continu est si important qu'il est difficile de voir émerger des prises de parole dans l'espace public. Les orateurs luttent pour se faire entendre. Ce discours montre qu'être réactif à l'actualité n'empêche pas la réflexion, et surtout la préparation d'une prise de parole, courte, claire, précise. En suivant le regard de Jay Silveria, nous pouvons savoir qu'il dispose de notes écrites qui soulignent son intention de frapper fort.

Jay Silveria prouve qu'une parole limpide jouit d'une immense puissance, surtout si elle prend son auditoire à témoin, et l'utilise comme un relais auprès de l'opinion publique via les réseaux sociaux.

L'emploi de mots simples et pleinement engagés pour défendre une cause, qui plus est exprimés par un leader qui prend ses responsabilités, a toujours le pouvoir de convaincre, et espérons-le, de changer le cours des choses.

Faites-vous former avec Adrien Rivierre →

 
Adrien Rivierre