Discours à la loupe : Quand Greta Thunberg menaçait les dirigeants du monde à l'ONU
La jeune écologiste suédoise, née le 3 janvier 2003, a connu une ascension fulgurante sur la scène médiatique internationale après avoir lancé fin 2018 une grève scolaire contre le climat. Moins d'un an plus tard, elle est invitée à prendre la parole, le 23 septembre 2019, pour un sommet dédié aux enjeux climatiques à l'ONU à New York. Elle frappe un grand coup avec une prise de parole pleine de rage.
Pourquoi cette prise de parole est-elle historique ?
Il est rare de voir la jeunesse s'exprimer au coeur des grandes institutions internationales comme l'ONU. Loin de vouloir se conformer à l'ambiance feutrée habituellement de mise, l'activiste sait que, dans le contexte des marches pour le climat avec des milliers de jeunes à travers le monde, sa prise de parole sera écoutée par les dirigeants du monde entier. Une opportunité rêvée donc pour taper du poing sur la table. Et, elle n'a pas laissé passer l'occasion.
Assise sur scène avec trois autres panélistes, l'oratrice a préparé ce moment, comme le prouve le texte rédigé qu'elle tient entre ses mains, et choisit de marquer les esprits avec une courte allocution de seulement 4 minutes et 26 secondes, dans laquelle elle prononce des mots très durs contre le système politico-économique, et ses leaders.
Les points forts du discours
Dans toute prise de parole, les premiers mots sont cruciaux, ce sont eux qui donnent le ton et qui doivent capter l'attention de l'audience. Greta Thunberg ne l'ignore pas, elle débute avec un avertissement en forme de menace : « Mon message est que nous vous surveillerons ». Cette entrée en matière donne immédiatement le ton et casse les codes ! Elle ne se laisse pas intimider ni par le contexte ni par son audience.
Greta Thunberg connaît ses adversaires et elle ne refuse pas le combat. Ainsi, dans ces premiers mots, le pronom personnel « vous » désigne ses adversaires, les gouvernements du monde entier qui n'agissent pas ou pas assez selon elle pour engager sérieusement la transition écologique. Mais plus encore, ses sept premiers mots annoncent toute la structure et la dynamique de son intervention. En effet, l'oratrice utilise un procédé bien connu des orateurs : le raisonnement binaire. Ce dernier consiste à scinder la réalité en deux parties et à les opposer frontalement.
Cette division, souvent simplificatrice, pousse ainsi l'audience à choisir son camp. Ici, soit vous êtes du côté de Greta Thunberg et de la jeunesse, soit vous êtes des ennemis de leurs aspirations, c'est-à-dire du côté des gouvernements. Et cette division est très aisément visible par l'emploi fourni des pronoms personnels « je » et « nous » d'un côté, et du « vous » de l'autre.
Cette dichotomie correspond à un schéma de pensée ancré dans nos représentations mentales, et cela depuis la nuit des temps. Nous la retrouvons dans d'anciens textes, comme dans le Nouveau Testament où Jésus dit : « Qui n'est pas avec moi est contre moi, et qui ne rassemble pas avec moi disperse » ou plus récemment, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, quand George Bush déclarait : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes ».
Elle a compris que pour être virale, sa prise de parole - qui dure le temps d'une chanson ! - devait avoir du rythme. Elle choisit ainsi d'utiliser beaucoup de phrases courtes. Une accumulation de mises en accusation qui sonnent comme de véritables slogans.
Notons en particulier la répétition, comme un refrain, à quatre reprises de la question « Comment osez-vous ? », mais également des phrases chocs comme « et si vous choisissez de nous décevoir, je dis : nous ne vous pardonnerons jamais » ou encore « vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos mots vides de sens ».
L'important ne semble ici pas tant la qualité du raisonnement mené que de marquer les esprits. Quoique cette parole engagée se muscle d'arguments. Remarquons par exemple comment Greta Thunberg mobilise des preuves irréfutables et accablantes : plusieurs chiffres et données factuelles comme « l'idée populaire selon laquelle la réduction de nos émissions [de CO2] de moitié en 10 ans ne nous donne que 50% de chances de rester en dessous de 1,5 degré [Celsius]... »
Mais quelque chose d'autre est en jeu, un élément que beaucoup d'orateurs sous-estiment : l'image renvoyée à son audience. L'oratrice parvient en effet à communiquer sa détermination et à nous faire ressentir sa colère. Les traits de son visage se ferment, la mâchoire se serre, à plusieurs reprises sa bouche prend même les traits du dégoût, les intonations de sa voix se font plus fortes en fin de phrase comme pour donner des coups de marteau successifs…
Elle crée ainsi un lien émotionnel, bien plus puissant que les faits eux-mêmes. Elle parle avec ses tripes et au lieu de parler à notre cerveau gauche, celui de la raison, elle s'adresse au cerveau droit, celui des émotions. Ces dernières sont celles qui permettent de passer à l'action et donc de changer le cours des choses.
Si nous nous montrions perfectionniste, nous dirions que cette rage aurait peut-être mérité d'être parfois tempérée. En alternant les moments de fort engagement avec des phases plus calmes, le pouvoir de conviction de ses paroles augmenterait encore ! La capacité à dire à ses adversaires ses quatre vérités avec une voix posée, un langage corporel totalement maîtrisé et un regard plein de sérénité est souvent plus impressionnant.
Ce que nous pouvons en retenir
L'engagement ! Les réactions provoquées par ce discours suffisent à démontrer que Greta Thunberg a parfaitement atteint son objectif. Elle joue son rôle de lanceur d'alerte. Et, si certains de ses mots peuvent sembler violents, ils sont à relativiser au regard de l'ampleur du défi qui se dresse devant l'humanité.
La jeune suédoise sait que pour éveiller les consciences et favoriser le passage à l'action, elle doit créer un sentiment d'urgence et se montrer intransigeante. A l'époque, le clivage qu'elle instaure avait d'ailleurs fait réagir Emmanuel Macron qui s'inquiétait de cette position en affirmant : « Des positions très radicales, c'est de nature à antagoniser nos sociétés ».
Que dit ce discours de notre époque ?
La jeunesse a (enfin) le droit et la légitimité pour s'exprimer sur des sujets importants. Prendre la parole en public si jeune et avec une telle détermination n'est cependant pas chose aisée. Greta Thunberg est d'ailleurs régulièrement victime de critiques très virulentes.
Et, c'est sans compter sur les accusations d'instrumentalisation dont elle est régulièrement victime, notamment en raison de son âge et de son syndrome Asperger. Faire entendre sa voix est bel et bien un combat, nécessaire pour la jeunesse et les défis climatiques à venir. Ce discours restera comme un moment fondateur grâce à la clarté de l'avertissement partagé et à l'incarnation puissante du propos.